La mort “Flamboyante”

Un renouvellement de l’image de la mort.

di Valentina Salierno

Do not go gentle into that good night,
old age should burn and rave at close of day ;
Rage, rage against the dying of the light.
DYLAN THOMAS

Quand l’homme perçoit la fin, il n’en est pas conscient du tout ; au contraire, il s’enflamme encore et encore dans la vie, en espérant que la cyclicité à laquelle il est destiné ne soit pas encore arrivée à sa fin : il est porté à aimer la terre avec démesure.
Le problème de la mort est depuis toujours un problème historique, même si on ne la pense que dans les moments de crise, parce qu’elle élimine tout. Mais l’homme meurt tous les jours et on est en contact depuis la naissance. Pourquoi devient-elle un objet d’étude quand elle s’entremêle aux grands phénomènes historiques ? Ou, encore, on se pose une question que d’autres historiens se sont déjà posés : la mort est-elle un bon « objet » d’étude ? On répondra comme Jacques Chiffoleau :

(…) la morte rimane «un buon oggetto del pensiero»: intorno ad essa si manifestano le tensioni, le fratture, le evoluzioni che agitano tutti i sistemi di credenze e, per la discontinuità che introduce nella storia umana, essa invita ad analizzare sempre sottilmente i processi fondamentali di riproduzione sociale[1].

Dans un moment de crise de la conscience collective, comme celle des années du Grand Schisme (1378-1417), on veut contribuer avec ce travail à mettre en évidence comment la crise schismatique et les autres crises qui ont frappé l’Europe du XIV ͤ siècle n’ont pas signifié une césure « drastique » par rapport aux siècles précédents en ce qui concerne l’histoire de l’art, alors qu’ils ont signifié une grande fracture dans d’autres cas. Lire l’histoire du XIVème comme l’ont fait les historiens économiques ou politiques, comme liée seulement aux dates incontestables de la crise démographique par rapport aux pandémies et aux conséquentes crises économiques, fait que certains facteurs (ceux économiques ou politiques) sont privilégiés par rapport à d’autres, en oubliant que ce siècle-là a été un moment très animé pour l’histoire sociale, artistique et littéraire.

C’était plutôt la naissance d’une nouvelle perception « dramatique » de la vie qui a fait que l’iconographie, surtout celle liée à la mort, commence à se faire de la place. La tension dramatique qui commence à être représentée dans les  peintures  du  XIV ͤ  siècle  fera  fleurir,  au  XV ͤ  siècle,  une  iconographie  liée  à  la  mort  et  à  la souffrance du vécu. Selon la thèse d’Émile Mâle, dans une des études les plus importantes pour l’histoire de l’art du Moyen Âge, cette nouvelle iconographie est liée au théâtre religieux, qui a le plus contribué à ce drame représenté qu’on retrouve dans les peintures du XV ͤ [2]. Au XIII ͤ siècle, il est très rare, par rapport à la représentation du pathétique, que l’art consente à représenter la douleur et la mort :

A Notre-Dame de Paris, saint Étienne, mourant sous les coups de ses bourreaux, semble une figure de l’innocence et de la charité ; couchée sur un linceul que soutiennent deux anges, la Vierge morte semble dormir du plus doux sommeil. La Passion de Jésus-Christ, elle-même, n’éveille aucun sentiment douloureux[3].

C’est  à  la  fin  du  XIV ͤ  siècle,  quand  les  artistes  qui  mettent  en  scène  la  vie  de  Jésus-Christ  ne demandaient plus leurs inspirations aux Évangiles ou à la Légende dorée, mais – plutôt – aux Méditations sur la vie de Jésus-Christ de Saint Bonaventure[4] ; un livre qui a tout changé pour les metteurs en scène : ils y trouvaient soit la mise en scène, soit le dialogue. Les études de l’historien de l’art sur le théâtre et l’iconographie concernent surtout sur Les Mystères et sur le renouvellement qu’a apporté le livre de Saint Bonaventure aux poètes contemporains et, après, aux artistes. Il souligne, dans sa thèse, comment les Méditations ont été très utiles aux metteurs en scène du théâtre, mais aussi aux artistes qui y collaboraient[5]. Il ne semble pas considérer les manifestations spectaculaires de la ville, qui offraient, encore plus – on croit – une façon de participer au drame et au jeu du spectacle à toute la communauté. Des manifestations où travaillaient aussi les artistes de la cité. On appelle “metteurs en scène” les artistes et les artistes metteurs en scène, parce que, dans le moment où on parle de manifestations urbaines, comme les processions ou les fêtes, il n’y a pas de pièces – pour le cas avignonnais qu’on analyse – qui peuvent témoigner un jeu théâtral[6] comme celui des Mystères. Mais on croit, quand même, qu’ils peuvent avoir influencé l’iconographie autant qu’un jeu théâtral avec texte, auteur et joué devant un public.
Les historiens ont souvent associé ce sentiment d’incertitude de l’homme vécu pendant les crises du siècle et aussi après, aux images de la mort qui ont connu, après le XIV ͤ siècle, une augmentation. L’art exprime toujours les sentiments humains et permet de s’exprimer et de faire respirer toutes les peurs du cœur, mais reléguer l’art à l’histoire des crises est une façon de la dévitaliser et de la faire dépendre d’une composante politique et économique. Alors, on essaye demander : est-ce que le théâtre[7] a pu vraiment influencer une iconographie de la mort plus que les crises et les épidémies que les hommes du XIV ͤ et XV ͤ siècle ont vécu ?
En fait, le théâtre était toujours un véhicule politique efficace : cérémonies, processions, pièces de théâtre ont légitimé un pouvoir : entre le XII ͤ et XVI ͤ siècle il a été un des « luoghi cruciali della negoziazione politica fra governanti e governati »[8]. Mais, encore, comme on verra, il était un moyen à travers lequel exprimer un sentiment social, un souci et – comme dans le cas analysé des cortèges funéraires – un moyen pour « exorciser » la fragilité humaine.
La crise qui a frappé tout le XIV ͤ siècle, en effet, a été si évidente, qu’elle a fait que les historiens se réunissaient autour d’une idée de “Crise du XIV ͤ siècle”, en faisant qu’il devenait presque naturel de parler de ce siècle comme d’un siècle de crise, sans mettre en lumière les aspects positifs qui en ont résulté[9]. À l’appui de cette thèse il y a la littérature eschatologique qui est produite à partir de la fin du  XIV ͤ  et  au  début  du  XV ͤ  siècle,  dans  laquelle  « l’attendre  de  la  fin »  est  le  leitmotiv  d’une communauté entière[10].
Un des plus beaux exemples que l’histoire de l’art offre pour comprendre qu’on ne doit jamais juger l’art en stricte relation avec les autres changements est l’exemple du Triomphe de la mort de Buffalmacco au Campo Santo de Pise (fig.1) et sa datation démontrée par l’historien de l’art Luciano Bellosi. À un moment où tous les historiens de l’art disaient que la datation de l’œuvre était à situer entre les années de la Grand Peste, Bellosi a démontré de façon inexpugnable et en offrant de précieuses contributions pour l’histoire de la mort, qu’il fallait la placer avant la Grand Peste et que cette iconographie n’avait rien à voir avec l’épidémie[11].
On veut démontrer ici – parce qu’il le croit fortement, peut-être en se trompant – que l’iconographie de la mort n’est pas un phénomène lié (ou moins pas du tout) aux grandes crises du XIV ͤ   siècle et que ce crises n’ont pas vraiment frappé la sensibilité humaine en deux, comme le sous-entend une partie de l’historiographie ; elle est – au contraire – une iconographie liée à une nouvelle prise de conscience de l’individu face à la mort, qui ne peut être attestée que dans un processus plus long et par l’introduction de ˝cérémonies˝ urbaines, les cortège funèbres et les processions, qui sont témoignés par l’écriture, la seule qui change avec la société entière. Et par le théâtre, le seul qui est joué pendant tous les jours de nos vies où tous jouent un rôle.


1

« BELLOS OBSEQUIES »[12] :
La mort en procession comme au théâtre.
Avignon au XIV ͤ et XV ͤ siècle.

Perché, Padre, talora mi domando, l’incarnazione è tra gli uomini, /
perché non in altra specie / tra quelle tue creature visibili /
e che pure ti testimoniano: gli uccelli / i pesci, le gazzelle, i daini…
In Via Crucis, MARIO LUZI

En pleine crise schismatique, le cardinal La Grange se fait construire une tombe monumentale, aujourd’hui conservée mutilée au musée du Petit Palais (fig.2). Il s’agit d’une œuvre qui cache en elle-même les traces de l’inquiétude du moment que la ville d’Avignon, et toute la chrétienté, vivait : « Ai piedi del loculo giaceva un « transi » [13], un cadavere, una scultura inquietante, tetra, scarna, che spingeva a meditare sull’ultima ora e sulla fragilità umana»[14]. S’écartant de ce qui est l’image donnée par l’histoire de l’art – qu’on analysera plus tard – l’historien Jacques Chiffoleau souligne comment déjà en 1320 les habitants des villes les plus importantes avaient redécouvert le testament romain et ses clauses, pour arriver à une large diffusion et utilisation, même dans les campagnes et dans les bourgs, bien que l’usage devienne commun seulement entre 1270 et 1350[15]. Le testament laisse, comme le soulignent les études du médiéviste Pierre Toubert[16] pour le cas toscan, une marge plus large de souplesse et permet à l’individu testamentaire une certaine individualité dans les choix, peut-être même linguistiques, qui n’apparaissent pas dans des documents comme les actes notariés. L’acte notarié est au contraire un acte unilatéral, qui n’a pas besoin du consentement d’autres personnes, mais c’est la volonté du testateur qui va déterminer l’héritier, sans qu’il soit fait aucune référence à la consuetudo familiale. L’historien identifie dans ce changement de perspective entre le testament “romain” et l’acte notarié un renouvellement qui contribue aussi à un changement d’attitude envers la mort ; il écrit en effet :

La democratizzazione del testamento, dando all’individuo un posto che fino a quel momento non aveva avuto, contribuisce dunque ad imporre un’immagine della morte differente da quella esistente due secoli prima, al tempo degli obituari e delle donazioni pro remedio anima[17].

Il s’agit d’un moment où la « mort de soi », pour utiliser une expression de l’historien Philippe Ariès, ne coïncide plus avec la mort du pater familias et de son auctoritas, garante d’une continuité sociale et – donc – d’un héritage, mais plutôt – en continuant à prendre comme référence la pratique testamentaire du XII ͤ  siècle, lorsque les liens sociaux sont remis en cause « dalla rivendicazione di nuovi diritti, dallo sviluppo di una morale dell’intenzione »[18] – un moment de renouvellement de l’image de la mort, avant même les épidémies mortelles et les crises.
Cependant, les testaments et les formules utilisées ne changent pas jusqu’au milieu du XIV ͤ siècle. Un nouveau langage, qui devait se dépouiller de celui des sententie des Pères de l’Église du XII ͤ siècle, commença à apparaître à l’intérieur des testaments, se remplissent de nouvelles formules – jusque-là inconnues – et de nouvelles références, dans un « collage » qui finit par engendrer une nouvelle peur : mourir sans testament plutôt que d’attendre l’Apocalypse ; une crainte qui « viene espresso nei locis comunes evocanti lo judicium terribile »[19].
Toutes ces images qui faisaient partie de l’Ancien Testament, comme l’affirmation de la fragilité devant Dieu, laissent de plus en plus place à de nouvelles formules, non plus cristallisées – comme on pourrait le croire – mais qui vont de pair avec l’art et la littérature[20].
En fait, d’après l’analyse testamentaire, il apparaît que la chronologie des crises qui ont touché le XIV ͤ siècle et la sociologie du phénomène font que le rapport entre la dépression démographique à laquelle on se rendait et les changements des structures mentales étaient très complexes.
L’image de la mort, qui commence à changer dès 1180-1220 avec la ” mort de soi”, bien qu’il y ait eu une évolution des termes et des formules entre 1340 et 1430, ne peut pas être entièrement associée à une influence directe des grandes épidémies. Ce ne sont pas seulement les formules juridiques qui le rappellent – étant l’écriture d’un processus qui prend du temps – mais aussi les dispositions pour la pompe funéraire que l’acte testamentaire prévoyait, qui – en réalité – ne changent pas. On ne veut pas nier l’impact très fort que certains événements ont certainement eu, mais les testaments ne signalent ce traumatisme qu’avec du retard[21].
Les pompes funèbres occupent de plus en plus, à l’intérieur des testaments, une place importante. C’est à cela que l’on voit et que l’on remarque un changement concernant le passage d’une conception de la mort à l’autre.
L’historien Chiffoleau insiste particulièrement sur les processions, moment considéré comme l’accompagnement du mort du voyage terrestre au voyage céleste. Vers 1330 commencent à augmenter, à Avignon et à Orange, des demandes de torches, de drapeaux, de clercs et de pauvres accompagnateurs.
Les figures qui apparaissent à l’intérieur de ce nouveau cadre sont aussi nouvelles : « figurants », c’est le terme par lequel elles sont appelées à l’intérieur du cortège[22] : clercs, pauvres, enfants, mendiants, s’apprêtent à suivre le mort, bien qu’elles ne fassent pas partie du vécu de l’homme. Il ne s’agit pas de figures qui apparaissent seulement pour des personnages importants, mais elles sont également présentes à l’occasion de la pompe funéraire des artisans et des riches paysans. Il ne s’agit pas non plus d’une coutume – celle de s’occuper de ses propres funérailles – qui concerne seulement les élites : à Avignon, les artisans s’en occupent exactement comme les classes les plus aisées, comme les marchands et les clercs, bien qu’avec des funérailles moins majestueuses.
En ce qui concerne le cas avignonnais, il est fréquent pour les habitants d’appartenir à plusieurs confréries, de sorte que chacune d’entre elles est tenue d’envoyer sa propre délégation aux processions. Les funérailles deviennent de véritables processions que les testateurs s’amusent à penser : des couleurs des drapeaux, avec une prédilection pour le blanc, aux vêtements des porteurs de torches[23].
La dernière promenade avec ses proches est considérée comme le dernier acte de la vie, un événement qui doit être aussi “esthétiquement beau”. Il est, en effet, mis en évidence une certaine théâtralité liée à ces longues processions, qui s’engagent totalement à être spectaculaires. Le décès est offert comme un spectacle aux vivants, qui doivent participer à la mise en scène.
Dans le Comtat Venaissin il y a, beaucoup moins qu’à Avignon, une tendance à théâtraliser son cortège funèbre, avec un cérémonial presque baroque, que Chiffoleau appelle « flamboyant » [24]. Ce qui n’est pas le cas dans la campagne, laquelle reste très liée à la tradition. C’est précisément dans la ville que commence à se faire place le macabre et non pas du fait des épidémies, mais plutôt de la crise démographique qui « turba le relazioni tra il quaggiù e l’aldilà, tra i vivi e i morti »[25].
La relation entre les vivants et les morts est également analysée à travers le lieu où ils sont ensuite déposés : le Campo Santo. C’est aussi grâce à ce lieu que s’établit une connexion avec ceux qui ont été dans le passé, ce qui est une transformation dans l’image de la mort[26].


2

AVIGNON EST UNE FȆTE[27] :
La fête ambulante au service de l’art.

En parlant du somptueux cortège funèbre et de la quasi-prétention du testateur d’aller théâtraliser sa propre mort, Jacques Chiffoleau lit un narcissisme exacerbé ; une façon de se libérer – et de se rebeller – de la fragilité humaine, comme si c’était une protestation[28]. Dans cette protestation, il n’y a pas d’amour passionné pour l’existence ou une conséquente augmentation des images de la mort, mais plutôt – pour citer une nouvelle fois Ariès, – « le sens aigu de la fin individuelle », celui de la fin d’un homme qui meurt dans la solitude et qui ne peut pas rejoindre les paters. Les lamentations de ces hommes sont concentrées dans les pompes funèbres du XV ͤ siècle.
Dans l’iconographie chrétienne des XII ͤ et XIII ͤ siècles, les seuls symboles connus sont ceux de la mort ; sûrement ceux du memento mori, du dit des trois morts et trois vifs et du Triomphe de la mort [29]. C’est aussi important de mettre en évidence qu’à partir du moment où l’homme médiéval et la chrétienté se rendent compte qu’il y a des péchés qui, soit par leur nature (alors appelés véniels au XII ͤ), soit pour la condition de mort du pécheur, peuvent être expiés après la mort, au Purgatoire,  entendu comme l’espace  de  croyance  chrétien qui naît alors ;  plus  tard,  vers  le  XIV ͤ  siècle,  on assiste à la naissance d’une iconographie du Purgatoire[30].

Au XV ͤ siècle, la représentation de la mort subit de sérieuses variations ; il s’agit toujours d’une prise de conscience de l’état psychologique après la mort : les cadavres se moquent des vivants, ils dansent, ils rappellent que les prochains seront semblables à eux. Mais ils agitent leurs os tous seuls, en proie à la solitude individuelle qui frappe chacun et dont on ne peut se sauver. Ce sont les vivants qui assistent aux spectacles et c’est pour eux qu’ils sont joués.
Si les représentations du Triomphe de la mort deviennent un phénomène plutôt italien[31], c’est La  Danse  des  mort  –  phénomène  commun  à  l’Europe  du  XV ͤ  siècle  –  qui aide  à  comprendre comment (et pourquoi) le théâtre – et les processions – peuvent avoir influencé l’iconographie. L’iconographie de La danse de la mort commence à apparaître à partir des années 1400 avec des premières danses dont on a connaissance, comme celle du cimetière des Innocents à Paris (1425)[32]. C’est une iconographie différente, qui met en place un véritable cortège de vies et des morts.
En référence à ce qu’on a dit avant, la procession était un moment où les vivants et les morts se trouvent « liés », en connexion, en un acte qui veut célébrer la mort et les morts. Comme dans la réalité, de même que dans l’iconographie de la danse, on trouve les morts et les vivants qui marchent et dansent entre eux. Les processions développées à l’occasion d’un cortège funèbre devraient être – clairement – un moment moins heureux que ce qui on voit représenté par les artistes, mais c’est aussi vrai que – comme le souligne le médiéviste Jacques Chiffoleau – la mort est offerte aux vivants comme un spectacle :

il decesso è solamente e magnificamente offerto come spettacolo alla società dei vivi. È la «morte di sé» che è esaltata e la morte del corpo è data ai vivi come una lezione macabra: memento mori[33].

Il s’agit d’un moment que la mort laisse à la communauté entière qui doit être là pour se rappeler la fugacité de la vie. Mais qui dit qu’il doit forcément être un moment d’introspection très dramatique et pas un moment où réfléchir à travers le jeu du théâtre en mettant en scène un spectacle de la mort ?
On oublie trop souvent que l’homme médiéval n’avait pas une idée de mort entendue comme fin. La mort était un passage. C’est la mort seule, loin de ses ancêtres, qui va peser de manière beaucoup plus pressante sur le rapport à la mort. Le sens de la mort grandit dans la conscience des hommes du XV ͤ siècle et, toujours en plus, la vie quotidienne prend une place plus grande, mais « ils cherchent toutefois, sous l’influence de leur mentalité religieuse, à ne pas rompre les liens entre l’existence physique et la survivance spirituelle »[34].

Les coutumes sont abandonnées ; il ne reste que la solitude de l’homme qui atteint les ténèbres seuls. Les morts protestent, donc, à travers des cortèges funèbres plutôt baroques, à cette identification par eux-mêmes auxquels ils sont forcés. Cette même mélancolie de la fin du Moyen Âge dont Huizinga a parlé, ne trouve pas – par conséquent – une corrélation directe avec l’obsession du macabre. Chiffoleau souligne que les épidémies, la crise démographique et les grands bouleversements n’ont pas contribué à accentuer un sens du macabre, un goût pour la mort, mais – au contraire – ont rendu évidente une réalité vraie, une réflexion mélancolique, sur le vécu : une image de la mort bouleversée, ainsi que la relation avec les pères et la tradition. C’est en ce moment même que l’on crée l’idée d’individu, en tant que personne. Les testaments témoignent que la grande mélancolie de la fin de siècle ne se produit pas sans une absence tragique : « È così, nella crisi, nel lutto e nella malinconia che nasce l’uomo, la religione, la razionalità moderna ».
En ce qui concerne la société avignonnaise et les longues processions pour les pompes funèbres, on voudra dire que la ville provençale n’a jamais été étrangère à ce genre de représentation :

Au XIVe siècle, les réjouissances publiques se manifestent par des processions. Les joculatores, ministrales ou tubatores, les musiciens, étaient l’accompagnement inséparable de ces fêtes[35].

Des demandes de torches, de longues processions, marquent depuis toujours le vécu avignonnais et ce, de plus en plus au XV ͤ siècle. On ne sait pas comment se passent les pompes funèbres, mais on doit imaginer qu’ils n’avaient pas des ménestriers qui apparaissent toutes les fois qu’on célèbre un événement joyeux. Mais, on peut le supposer, la mise en scène des spectacles ne devrait pas être très loin de celles faites pour les fêtes religieuses. Même en plein schisme, moment rappelé pour la fragilité de chaque homme, est jouée en 1388 devant l’église des Dominicains une représentation qui met en scène la Prise de Troie. En présence du duc d’Anjou, le spectacle est rappelé pour ses fastes et pour sa participation collective[36] :

Nous assistons, à la fin du Moyen Âge, a une augmentation de la théâtralisation, qui concerne aussi bien l’individu (par exemple face à la mort avec la mise en place, à partir de 1340, des cortèges peuplés de prêtres, de pauvres habillés de blanc ou de noir, de pleurants encapuchonnés, de cierges, de bannières et de cloches) que la communauté, qui se reconnait de plus en plus grâce à l’enracinement dans un espace bien précis[37].

La société avignonnaise n’est pas étrangère aux longues processions et aux représentations théâtrales. Il s’agit d’une société “théâtralement” vivante, qui revit dans ces actes sa liberté : c’est comme si la communauté entière tenait à être participative de tout mouvement culturel et artistique, non pas parce qu’on en reconnaît la valeur, mais aussi parce que le jeu théâtral est vu – et vécu – comme un acte social auquel “il faut” participer pour faire partie de la communauté. C’est presque comme si le jeu du théâtre prenait la voix de cet art dont parle Jérôme Baschet : un art qui occupe une place dans l’histoire humaine non pas comme témoin d’une mentalité d’époque, mais comme impliqué dans les actes sociaux[38].
Depuis  la  deuxième  moitié  du  XIV ͤ  siècle,  on  assiste  à Avignon  à plusieurs  manifestations,  filles d’une tradition bien enracinée des spectacles, soit de nature laïque, soit de nature religieuse. Mais ce qu’on voit pour le XV ͤ siècle est une augmentation majeure des processions et des spectacles : arcs de triomphe, spectacles et mises en scène, sont joués dans les lieux de la cité, surtout ceux liés aux ordres mendiants. Sur les 38 spectacles réalisés entre 1350 et 1400, presque la totalité est jouée aux alentours des couvents des ordres mendiants[39].
Ce qu’on a pu constater jusqu’à présent à ce stade de la recherche c’est que, pour le XV ͤ siècle, apparaissent de plus en plus à l’intérieur de la documentation, non plus des demandes de décor des processions aux artistes de la cité, mais des demandes de la noblesse avignonnaise ou des cités voisines, ou – plus importantes encore – des églises et couvents (entre tous les couvents des Célestins), qui commencent à demander aux artistes des retables pour leur en conserver la mémoire. Il est possible que dans la deuxième partie du XV ͤ siècle, les cortèges funèbres ne soient pas réservés qu’aux grands personnages, et que les riches préfèrent – à la différence du siècle précédent – utiliser l’art du retable plutôt qu’organiser leurs propres cortèges.
On apprend que dans quelques testaments il y a la volonté de laisser à ses héritiers la tâche de faire peindre par des artistes les retables : Jean Chabert, opérant à Avignon entre 1485-1493, établi dans son testament que ses héritiers fassent peindre par le meilleur et par le plus ingénieux peintre d’Avignon deux retables : un pour l’église de Barbentane, plus semblable à celui qui fait le testament, et un pour l’église Saint-Agricol[40]. L’historien local, le Dr. Pierre Pansier, qui est un des érudits utilisés pour l’étude, rapporte qu’il était exprimé que dans le retable de Barbentane, le peintre doit être représenté sous les vêtements du Saint (le plus ressemblant possible) et qu’il doit être entouré par Sainte Catherine, Saint Antoine de Padoue et d’autres saints vénérés dans l’Église. Celui-ci sera présenté par San Jeronimo à la Vierge tenant l’Enfant et il aura dans sa main une banderole avec trois vers écrits :

Quem tua sancta furunt complexum brachia natum/
et cui dederunt lac ubera posce beatum/
Ut me peccatis solvat societque beatis.

Mais s’il est vrai, c’est aussi vrai que le théâtre à Avignon devrait être toujours présent. Une certaine théâtralité dans les images représentées est présente au point qu’il semble que tous les personnages des retables que l’on voit, pour ceux encore visibles, sont en train de jouer une pièce. On peut le supposer au regard des études portant sur le retable Du portement de croix (fig.3) de Francesco Laurana (1478), lesquelles sont le fruit des travaux de l’historienne de l’art Rose-Marie Ferré-Vallancien. Elle dit, en fait, que le retable voulu par René d’Anjou, renvoie à une scène présente dans le Mystère de la Passion du metteur en scène Arnoul Gréban, « même si l’image ne peut pas rendre compte de la progression du récit, sa composition et la disposition des personnages découlent précisément de ce que dit le texte »[41]. Ou encore, le triptyque de Nicolas Froment, pictori abitatori Avinion, qui travaillait au théâtre des arcs de Triomphe, pour la cathédrale d’Aix-en-Provence, le Triptyque du Buisson ardent (fig. 4), pourrait être inspiré des “Arcs de Triomphe” qu’il a réalisés pour la ville, toujours en forme de triptyque[42]
Une des études fondamentales en histoire de l’art pour percevoir le rapport existant entre l’iconographie et le théâtre – on l’a déjà dit – est celle de l’historien Émile Mâle, qui souligne que le XV ͤ siècle est le moment où Les Mystères naissent. Si l’art du XV ͤ siècle doit beaucoup aux Méditations de Saint Bonaventure de Bagnoregio, au XV ͤ siècle beaucoup de scènes qui commencent à être représentées dans l’iconographie religieuse ne peuvent plus être expliquées et il faut donc penser à l’invention d’autres mystères[43].
Les études du français mettent en évidence à quel point le rapport entre les artistes et le théâtre est non négligeable. Les Mystères influencent l’iconographie médiévale tout au long du XV ͤ siècle, et les artistes, très souvent, se trouvent à faire partie des créations des décors et de la mise en scène des spectacles théâtraux. L’historien de l’art souligne que dans les fresques italiennes du XV ͤ siècle il y avait des références aux fêtes, comme dans le cas de l’Adoration des Mages (fig. 5) de Gentile da Fabriano ou dans celles de Pisanello, Antonio Vivarini dans la chapelle Médicis[44]. En France, « car les textes sont muets », on ne sait pas s’il existait des chevauchées de ce genre et on ne sait pas si des miniatures comme celle du Voyage et de l’Adoration de Mages dans les Très Riches Heures de Chantilly s’inspirent vraiment ou non d’un cortège royal. De même, on ne sait pas si l’iconographie avignonnaise répond à des images déjà vues.
Nous savons, cependant, qu’il y avait certainement beaucoup de processions qui ont investi la ville d’Avignon et beaucoup d’artistes ont travaillé à la fois au théâtre et aux retables, presque à la même date. Ceci fait en sorte qu’une certaine influence est présente entre les deux arts, qui auront couramment communiqué entre eux.
Le travail de Chiffoleau sur les cortèges funèbres a certainement ouvert un nouvel intérêt et un cas d’étude, qui met en lumière comme le caractère dramatique d’un événement comme la mort et la présence “due” de la communauté, a certainement contribué à développer une certaine sensibilité à ces manifestations, qui sont – à Avignon – extraordinairement présentes et importantes.
Il faut souligner qu’en réalité, ces processions n’ont pas changé du XIV ͤ au XV ͤ siècle, de sorte que l’on suppose que la crise n’a pas entièrement affecté ces manifestations. Ce qui change, ce sont les lieux des processions, qui à partir du  XV ͤ siècle commencent à se déplacer également autour du couvent des Célestins, qui est supposé être – à l’état actuel des études – un pôle dans lequel gravitent les artistes et se contactent ceux-ci pour les prix des œuvres.

***

Dancez donques vivans à
l’instrument/ et advisez comment
vous le ferez Après dancer viendrez au
iugement[45]

On a voulu analyser un sujet comme la mort parce qu’il est croyance commune de la croire – dans l’iconographie – strictement liée aux crises du XIV ͤ siècle. On ne le croit pas du tout ; et des autres l’ont déjà démontré (comme Jacques Chiffoleau avec l’écriture testamentaire, Luciano Bellosi avec l’iconographie du Triomphe de la mort). On a essayé de se référer à ces deux historiens pour analyser les cas des processions à Avignon et leur lien avec l’art du théâtre. Nous ne possédons toutefois pas, à ce stade de la recherche, des informations plus détaillées sur l’argument qui peut faire penser que les artistes qui travaillent aux processions en avaient été influencés à tel point de « repenser » leur art, aussi autour d’un argument comme la mort. On sait qu’Avignon a eu une grande tradition des spectacles et que toute la communauté, comme corpus, participait aux processions et à la mise en scène.
C’est ce composant « théâtral » qui, on peut le penser, donne au XV ͤ siècle un moyen de se séparer de la tradition qui voit la mort comme un moyen de toucher la sensibilité du pécheur. C’est que les processions, comme l’a bien décrit Jacques Chiffoleau, servaient de memento mori aux vivants. C’est pour ça qu’on ne peut pas être d’accord avec ceux qui avancent que l’iconographie de la mort est toujours  liée  aux  crises  qui  ont  caractérisé  le  XIV ͤ  siècle.  L’historien Alberto Tenenti met en évidence un des études qui ont cherché à ramener les représentations de la mort entre les XIII ͤ et XV ͤ siècle à une racine commune, celle de l’historien de l’art Henry Thode[46], fait ʺfausse route ̋ dans le moment où il les considère comme des allégories qui doivent leurs sources à François d’Assise ; c’est une constatation fausse, considérant que les franciscains ont aussi contribué à la diffusion des images macabres, mais qu’ils ont exercé une influence limitée à la fin du Quattrocento[47]. On pense que – parfois – l’histoire de la société et l’histoire de l’art se poursuivent dans une direction “isolée” par rapport aux moments de grandes crises et de forts changements, si bien qu’un moment qui peut être considéré comme un « jour d’après » politique et social, ne peut pas être entièrement attribuable à une nouvelle iconographie introduite dans la société. Les changements iconographiques sont trop lents et ils ont besoin de temps pour s’affirmer et entrer dans la société. Ils ne vivent pas à la vitesse des changements politiques et économiques. On ne nie pas – parce que ce serait impossible – qu’ils subissent ces changements, mais ils n’en dépendent pas totalement. Quand l’art change, on ne doit pas penser que ce changement est forcément lié aux crises des siècles, mais il se modifie doucement en un processus trop long – comme l’a démontré Jacques Chiffoleau pour le cas avignonnais – pour affirmer qu’elle a sûrement eu un « jour d’après » suivant les grandes crises.

di VALENTINA SALIERNO
valentina.salierno@studio.unibo.it


BIBLIOGRAPHIE

P. ARIÈS, Essais sur l’histoire de la mort en Occident du Moyen Âge à nos jours, éditions du Seuil, 1975

S. BALOSSINO, “Vie citadine, vie religieuse aux alentours des Célestins : un vide théâtral ? » communication à la journée d’étude « Théâtre dans le patrimoine : Les Célestins » du13 juin 2019, à paraitre chez éditions universitaires d’Avignon ».

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TABLEAUX

(Fig. 1) Buffalmaco, Trionfo della morte, Campo Santo de Pise, 1336-41.
(Fig. 2) Monument funéraire du Cardinal De La Grange, Transi, Musée du Petit Palais, Avignon, 1403. «Spectaculum facti sumus mundo ut majores et minores in nobis clare videant ad quem statum redigentur, neminem excludendo, cujusvis status sexus vel ætatis. Ergo miser cur superbis, nam cinis es et in cadaver fetidum, cibum et escam vermium ac cinerem, sic et nos, reverteris»
(Fig. 3) Francesco Laurana, Portement de Croix, 1478, église de Saint-Didier, Avignon.
(Fig. 4) Nicolas Froment, Triptyque du Buisson ardent, 1475-76, Aix-En-Provence.
(fig.5) Gentile Da Fabriano, Adorazione dei Magi, 1423, Uffizi, Florence.

NOTES

[1] J. CHIFFOLEAU, Perché cambia la morte nella regione di Avignone alla fine del Medioevo (1982). Il est une étude reprise dans un discours du XI Convegno internazionale di Lovanio su La Morte nel Medioevo (21-23 mai 1979) et dans un séminaire qui a eu lieu à l’Université de Bari, en février 1980. L’historien étudie la mort dans la région avignonnaise et dans le Comtat Venaissin au XV siècle à travers une analyse de 600 actes qui était près l’Archive avignonnais et du comtat Venaissin. Ils sont capables, selon l’historien, de donner un imaginaire plus « vrai » du changement de sentiment vers la mort. La raison de l’étude n’est pas d’aller contribuer à l’histoire de la mort, mais d’assumer « la morte come rivelatrice del ruolo specifico della religione nella vita sociale ».

[2] É. MÂLE, L’art religieux de la fin du Moyen âge en France, étude sur l’iconographie des Inscriptions et Belles-Lettres, Armand Colin éditeur, 19087, Chapitre II, L’ART ET LE THEATRE RELIGIEUX, p. 35-84.

[3] Ibidem, p. 89.

[4] Ibidem, p. 36.

[5] Ibidem, p. 42.

[6] On se réfère au cas des processions ou de fêtes. On a témoignage du récit des farces, ou moralité, mais on n’a pas de pièce.

[7] Avec le mot “théâtre” on entend tous les manifestations : dépouillés de l’idée de théâtre qui est aujourd’hui commune, on entend toute les manifestations, processions ou spectacles, impliquant deux acteurs : un public et un acteur, entendu non pas comme un acteur professionnel, mais comme le protagoniste d’un acte.

[8] P. VENTRONE, Simbologia e funzione delle feste identitarie in alcune città italiane fra il XIII e XV secolo, in «Teatro e Storia» n.s. 34, 2013, p. 285.

[9] En 1378, peu après l’élection du pape Urbain VI, au siècle Bartolomeo Prignano, par la volonté des cardinaux désaccords et réunis à Fondi, fut élu Robert de Genève sous le nom de pape Clément VII. Le grand débat qui naquit immédiatement après la double élection papale ne concernait pas tant l’autorité et le pouvoir de l’Église que la suprématie de celui qui le détenait. Cela devint bientôt un prétexte aux luttes pour la domination en Europe entre la France et l’Empire et pour les luttes en Italie entre républiques et seigneuries. Cette instabilité, qui conduisait à ne pas pouvoir identifier avec une certitude absolue qui était le Pasteur de la Chrétienté engendra un choc collectif, qui se manifesta – surtout – dans une diffusion toujours plus prépondérante d’une littérature apocalyptique qui donnait voix à l’incertitude manifeste dans laquelle toute la société était tombée. Mais, surtout, il avait eu lieu des autres crises, qui avaient frappé l’Occident : la grande famine de 1315 avait dévasté certaines zones européennes, et l’avait destiné à une crise qui déchira la population tant au niveau social qu’économique; la grande pandémie, connue sous le nom de “peste noire” de 1348, avait signifié un effacement des équilibres sociaux et politiques et avait donné naissance à un état d’urgence ; la guerre de Cent Ans (1337-1453) qui a vu comme acteurs principaux les deux monarchies nationales de France et d’Angleterre. C’est surtout la peste noire qui est rappelée comme cause déclenchante de toutes ces crises, qui amène une partie des historiens à la considérer comme une “césure” entre l’époque médiévale et l’époque moderne. La Peste noir, précédée dans la région de la France et de l’Italie par la famine du 1346-47 est présenté comme un phénomène terrifiant, « distruggere il mondo intero », selon le poète Petrarque, et défini par le chroniste Matteo Villani « lo isterminio della generazione umana ». Des études intéressantes pour avoir un autre point de vue sur la question sont ces de deux historiens de l’Université de Bologne: F. ROVERSI MONACO, «Le audacie del pensiero»: letteratura e storiografia sul Grande Scisma d’Occidente, in B. Pio, a cura di, Scritti di storia medievale offerti a Consiglia de Matteis, Fondazione centro italiano di studi sull’alto medioevo, Spoleto, 2011. B. PIO, Un secolo in chiaro scuro: il Trecento tra crisi e rinnovamento, in B. Pio, Parmeggiani, R., L’università in tempo di crisi. Revisioni e novità dei saperi e delle istituzioni nel Trecento, da Bologna all’Europa, Bologna, CLUEB, 2016. L’analyse faite par l’historien est intéressante par la lecture qu’il fait de la “Crisi del Trecento”. Il analyse les crises comme des phénomènes “in chiaroscuro” pour souligner comment ces crises ont été un moment où des institutions, comme celle universitaire, ont vécu un moment de renouvellement. En ce qui concerne le phénomène de la “Peste nera”, la mesure précautionneuse que les territoires ont pris était beaucoup. Pour l’Italie, une des mesures prises était concernant le commerce d’outre-mer, surtout pour des villes comme Gênes et Venise. L’historien Lorenzo Pubblici dit que la ville de Gênes avait perdu environ 40% de sa population, tandis que Venise passe de 120000 (1338) à 65000 habitants (1351). Malgré cette baisse de population, les deux villes réussirent à ne pas s’agenouiller et à rester deux des puissances maritimes les plus importantes. Pour un approfondissement, on signale l’étude de Lorenzo PUBBLICI, Venezia e il Mare d’Azov: alcune considerazioni sulla Tana del XIV secolo, Archivio Storico Italiano Vol. 163, No. 3 (605) (luglio-settembre 2005), pp. 435-483, Leo S. Olschki Editore, Firenze, 2005.

[10] Depuis le début de la christianité, les réflexion sur le sens de la mort et de la fin du monde ont caractérisé la plupart des œuvres et discussion des écrivains ecclésiastiques, au point que, selon l’historien R. RUSCONI, (L’attesa della Fine, Crisi della società, profezia ed Apocalisse in Italia al tempo del grande scisma d’Occidente (1378-1417), Istituto Storico italiano per il Medio Evo, Studi Storici – Fasc. 115 – 118, Roma, 1979), on peut faire rentrer dans l’« eschatologie » toute la pensée de la tarde antique et celle du Moyen Âge. En effet, depuis le VIIe siècle jusqu’au début du XIVe siècle, commence à s’animer une littérature eschatologique-apocalyptique par des clercs et des intellectuels, qui reflète non seulement les préoccupations de la partie savante de la société, mais une mentalité enracinée et généralisée, qui appartient désormais à toute la société médiévale. Une littérature de ce genre n’est pas la seule à alimenter cette période : l’exigence du réalisme caractéristique de la mentalité médiévale aussi dans la religion, avait besoin de déterminations concrètes. Alors que dans la littérature eschatologique ils descendaient deux informations : i signa de la fin du monde et les dramatis personae, qui sont les protagonistes des événements de l’histoire. C’était la tentative de lire l’histoire du futur en illuminant le présent et le passé. L’Apocalypse est le texte sacré qui est lu avec les mêmes intentions pour lesquelles il a été écrit, une « révélation » à laquelle s’associent d’autres écrits de nature biblique, dont le Nouveau et l’Ancien Testament et les sermons eschatologiques des Évangéliques synoptiques ; ces écritures et leur applicabilité dans le quotidien donnent vie à un imaginaire symbolique, un répertoire inépuisable d’images qui prennent appui sur toute la société.

[11] L. BELLOSI, Buffalmacco e il Trionfo della Morte, Einaudi, Torino 1974; R. BARTALINI, “Bonamicho excellentissimo maestro”. Sul Buffalmacco di Luciano Bellosi, Prospettiva, luglio-ottobre 2016, No. 163/164 (luglio-Ottobre 2016), pp. 76-87. https://www.jstor.org/stable/10.2307/26706025

[12] L’expression est reprise dans l’étude de Jacques Chiffoleau. On reporte la référence : expression de l’auteur anonyme du Chronicon parvum avinionense de schismat e et de bello, édit par F. Ch. Carrieri in « Annales d’Avignon et du Comtat Venaissin », 1916, p. 173.

[13] Le transi est identifié par Ariès comme l’un des phénomènes qui se manifestent dans l’histoire de l’art au moment où l’homme médiéval se retrouve face à la mort : il est remarquable que dans l’art la représentation de la mort sous les traits d’une momie, d’un cadavre à demi décomposé, est moins répandue qu’on ne le croit. Elle se trouve surtout dans l’illustration de l’office des morts des manuscrits du XV siècle, dans la décoration pariétale des églises et des cimetières (La Danse des Morts)., p. 38.

[14] Jacques CHIFFOLEAU, Perché cambia la morte nella regione di Avignone alla fine del Medioevo (1982) , p. 449.

[15] Ivi, p. 450.

[16] La référence est donnée par Jacques CHIFFOLEAU, ouv. cit. : P. TOUBERT, Les structures du Latium Médiéval, Paris, Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome, 1973, tome I.

[17] Ivi, p. 450.

[18] J. CHIFFOLEAU, ouv. cit., p. 450.

[19] Ivi, p. 452.

[20] C’est utile de rappeler ici qu’il y a des images produites pendant ces années qui sont toujours liées à la crise que les hommes ont vécue. C’est important poser l’attention sur des imagines comme celle élaborée par Eustache Deschamps.

[21] J. CHIFFOLEAU: «È difficile negare ogni esistenza allo choc provocato dall’arrivo della peste, ma nei testamenti questo trauma non si fa sentire che con ritardo ed in forma indiretta. Le allusioni esplicite sono rarissime, le pompe funebri non cambiano affatto; tutt’al più si può osservare, in certi casi, una leggera crescita, non duratura, delle offerte ai chierici e ai religiosi (facilitata forse dalla sparizione di eredi potenziali)», p. 456.

[22] Ivi, p. 454: «Tutto avviene come se la presenza della famiglia e dei vicini non bastasse più per compiere il rito di separazione (a meno che quei «figuranti» non assumano la funzione di parenti assenti o defunti)».

[23] Ibidem, «Lungo tutto il secolo XV, ad Avignone, il numero delle torce che, perfino in pieno giorno, devono circondare il defunto cresce in maniera regolare, tanto fra gli artigiani che fra i notabili e i mercanti. È esclusivamente intorno e in funzione della salma che si organizzano le pompe funebri «flamboyantes».

[24] Ivi, p. 456.

[25] Ibidem.

[26] Ivi, p. 460: «Ciò che fa paura soprattutto è la morte solitaria, la morte senza rito. Non solo perché si rischia di non andare in paradiso, ma anche perché in questo modo una tradizione, una continuità rassicurante sta per essere frantumata. Ora, la funzione fondamentale dei riti funerari è precisamente, ricordiamocene, quella di dare ai morti un posto, «il loro» posto tanto nello spazio loro riservato (cimitero, chiesa), quanto nella memoria collettiva e individuale dei viventi».

[27] Le titre remarque celui de E. HEMINGWAY, Paris est une fête, Éditions Gallimard, Paris, 1964.

[28] Jacques CHIFFOLEAU, ouv. cit., p. 461.

[29] A. TENENTI, La vie et la mort à travers l’art du XV ͤ siècle, Éditions Allia, Paris, 2018, Introduction, p. 11.

[30] J. LE GOFF, L’imaginaire médiéval, éditions Gallimard, Paris, 20133, p. 120 ; p. 171.

[31] A. TENENTI, ouv. cit, p. 19 – 40. L’historien met en évidence comme tout une iconographie sur la mort et son triomphe sur la vie, commence à être représentée à partir du XIV siècle. Une intéressante confrontation est faite avec la scène imaginée par Pétrarque, avec les Triomphes (écrits de 1356 à 1374) et la fresque de Pise, qui marque une nouvelle étape dans la représentation de la mort.

[32] A. TENENTI, ouv. cit., p. 41.

[33] J. CHIFFOLEAU, ouv. cit., p. 454.

[34] A. TENENTI, ouv. cit., p. 115.

[35] P.  PANSIER,  Le  débuts  du  théâtre  à  Avignon  à  la  fin  du  XV ͤ  siècle,  in  Annales  d’Avignon  et  du Comtat Venaissin, 1919 p. 5-52 , cote P 754, Bibliothèque Ceccano, Archivés départementales de Vaucluse, p. 5

[36] S. BALOSSINO, “Vie citadine, vie religieuse aux alentours des Célestins : un vide théâtral ? » communication à la journée d’étude « Théâtre dans le patrimoine : Les Célestins » du 13 juin 2019, à paraître chez éditions universitaires d’Avignon » : « En 1382 le conseil de ville, en plein grand schisme, organisé sur le parvis de l’église des dominicains un jeu qui met en scène la prise de la ville de Troie. Ce spectacle, en présence du duc d’Anjou, est rappelé par le faste dans la mise en scène et la participation citadine ».

[37] Ibidem.

[38] J. BASCHET, L’iconographie médiévale, Éditions Gallimard, 2008, trad.it. di Fabio Scirea, L’iconografia medievale, Editoriale Jaca Book spA, Milano, 2014., p. 9.

[39] S. BALOSSINO, ouv. cit.

[40] P. PANSIER, Les Peintres d’Avignon aux XIVème et XVème siècles. Biographie et documents, cote 4° 15774, Bibliothèque Ceccano, Archives départementales de Vaucluse, p. 53.

[41] Rose-Marie Ferré-Vallancien, De la théâtralité des images : l’exemple du retable du Portement de croix de Francesco Laurana pour le roi René (1478), in Chantal Connochie-Bourgne, Valérie Gontero-Lauze (dir.), Les Art et les Lettres en Provence au temps du roi René, p. 197-208. Article disponible en ligne : Les Arts et les Lettres en Provence au temps du roi René – De la théâtralité des images : l’exemple du retable du Portement de croix de Francesco Laurana pour le roi René (1478) – Presses universitaires de Provence (openedition.org).

[42] P. PANSIER, Le débuts du théâtre à Avignon à la fin du XV ͤ siècle, ouv. cit, p. 9 : « En 1477, c’est le peintre Nicolas Froment qui élève le cadafau ou escafaux de la Fête-de-Dieu. Sa mise en scène est très compliquée. Il paraît l’avoir combinée en forme de triptyque ».

[43] É. MÂLE, L’art religieux de la fin du moyen âge en France, étude sur l’iconographie des Inscriptions et Belles-Lettres, Armand Colin éditeur, 19087, p. 51.

[44] Ibidem, p. 70.

[45] P. MICHEAULT, La Danse des aveugles, [Bréhant-Loudéac] s.d. ; fol. Cv (B. N. P., Rés. P. Ye. 230) référence en Alberto TENENTI, ouv. cit., p. 46.

[46] Henry THODE, Saint François d’Assise, et les origines de l’art de la Renaissance en Italie, 1910.

[47] A. TENENTI, ouv. cit., p. 118.

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